
Monde Numérique (Actu Tech)
·S5 E175
🎤 Interview - Comment l’IA réinvente le commerce (Lionel Tardy, École supérieure de vente et d’exportation)
Episode Transcript
Lionel Tardy:
[0:01] L'IA ne remplace pas l'humain, elle réhabilite l'humain dans un rôle stratégique, c'est-à -dire dans le rôle du conseil final, de celui qui va te permettre de concrétiser ton achat, de closer une vente.
Monde Numérique :
[0:21] Bonjour Lionel Tardy.
Lionel Tardy:
[0:23] Bonjour Jérôme Colombain.
Monde Numérique :
[0:24] Enseignant à l'école supérieure de vente et d'exportation et grand observateur spécialiste des technologies, notamment dans le domaine du commerce. Alors Lionel, l'intelligence artificielle est en train de bouleverser, de révolutionner le commerce, aussi bien dans les magasins que sur Internet. Par exemple, il y a une étude qui vient de sortir de ADN Index qui dit que 31% des Français utiliseraient l'IA pour effectuer des achats. Il pianote sur ChatGPTpour savoir comment acheter une paire de chaussures ou de l'électroménager est-ce que c'est un épiphénomène ou une véritable transformation ?
Lionel Tardy:
[1:02] Alors ce qui est intéressant avec ces 31% c'est qu'en complément sur une étude qui est sur une cohorte je crois d'un nombre significatif de personnes, je crois qu'on était sur une quinzaine de milliers de personnes, c'est qu'il y en a, 42%, c'est-à -dire quasiment presque ce qui reste qui disent vouloir l'essayer donc ça veut dire que d'ailleurs en parallèle il y a une étude Cantar qui est sortie il y a très peu de temps pour BFM et tes camarades de quoi je me mêle et autres, sur notamment ce que les français ont retenu de ces 25 dernières années en termes de technologie et donc l'IA qui est quand même pas le phénomène de ces 25 dernières années pour le grand public, arrive en très très bonne position évidemment forcément derrière l'iPhone derrière le wifi, derrière évidemment la présence de nos canaux mais ça veut dire qu'avec les outils que l'on a Oui, l'IA dans le commerce, c'est une révolution. Alors, moi, je dirais que c'est une révolution à deux temps. Le premier temps, il était invisible parce que c'était du côté des entreprises, du commerce. Alors, on connaît toutes les grandes plateformes, les grandes plateformes de e-commerce.
Lionel Tardy:
[2:09] Les grandes marketplaces qui, par le biais des préconisations, de nos habitudes d'achat, de nos habitudes de commande, viennent nous pousser, nous recommander, etc. Et ça, ils le font très très bien depuis des années. Et derrière, ce n'était pas des petits humains, c'était de l'intelligence artificielle. Mais nous, en tant que consommateurs, on ne s'en rendait peut-être pas spécialement compte. Nous, on est un peu plus avisés. On savait très bien que derrière, il y avait des robots qui travaillaient à notre bien-être ou à notre bonheur. On sait très bien comment travaille Netflix on sait très bien comment travaille Amazon pour citer quelques marques ultra connues et toutes les recommandations de contenu et donc de produits en fait et ça bien sûr l'IA a été derrière mais c'est vrai que depuis novembre 2022 on a découvert avec un simple prompt une simple requête.
Lionel Tardy:
[2:55] Peut-être parfois un peu plus quand même riche et riche en détail que celle que l'on fait habituellement sur notre moteur de recherche habituel allez on cite une troisième marque Google eh bien, on va avoir des résultats qui sont plutôt assez riches et surtout très surprenants. Et je crois que l'adoption, elle est importante parce que, justement, elle est surprenante. Et c'est ce qui est expliqué dans cet article dont il faisait écho, c'est qu'en fait, elle est transgénérationnelle. C'est important et c'est tous les âges. On pourrait se dire, non, ce n'est qu'à la génération Z qui s'est ruée les 16-27 ans pour faire leurs devoirs, pour ceux qui sont un peu plus vieux, pour faire leur mémoire d'études, de fin d'études. Non, non, non, eux, ils y sont, bien sûr, à 60%, ils y sont. Mais les plus de 60 ans, ils sont à peu près à hauteur équivalente,
Lionel Tardy:
[3:43] c'est-Ă -dire autour de 55-60%.
Monde Numérique :
[3:45] Mais Lionel... Donc utiliser l'IA générative, on pense à ChatGPT évidemment, pour faire du shopping, ça veut dire quoi concrètement ? C'est-à -dire que les gens fondés, ils veulent acheter une machine à laver, donc ils demandent à ChatGPT quelle est la meilleure ?
Lionel Tardy:
[3:59] Oui, en fait ils remplacent Google Shopping ou ils remplacent toutes les recherches qu'ils faisaient habituellement par leur moteur de recherche par une requête assez riche en disant voilà , je veux changer ma machine à laver, j'ai tant de centimètres de large, j'ai un budget de temps, « Qu'est-ce que tu me proposes ? » Et en fait, ils pensent que la réponse… Alors, comment la réponse est amenée, c'est une autre question, mais en tout cas, ils pensent qu'ils vont pouvoir davantage cadrer la réponse parce qu'elle se fait dans un langage beaucoup plus naturel, semble-t-il, à leurs yeux, que les requêtes que l'on avait habituellement, l'habitude de faire sur notre moteur de recherche habituel.
Monde Numérique :
[4:36] Oui, bien sûr, puisque l'IA nous parle en bon français. Alors, je ne sais pas si tu pratiques. Moi, je l'ai un peu testé aussi. essayé le truc. Effectivement, c'est sympathique, les réponses sont sympas, mais après, quand on creuse, on a des surprises et on s'aperçoit qu'on retombe sur les travers de l'IA, c'est-à -dire que parfois, elle invente un peu. Est-ce que le taux de satisfaction de cet outil pour faire du shopping est véritablement élevé ? Ça, l'étude en question ne le dit pas.
Lionel Tardy:
[5:04] Non, après, l'étude... Oui, alors, l'étude parle déjà de transformation des usages. Alors, encore une fois, est-ce que les gens sont satisfaits ? Ce qu'elle dit, et ce que les autres études montrent quand même, c'est que l'IA ne remplace pas l'humain. Elle réhabilite l'humain dans un rôle stratégique, c'est-à -dire dans le rôle du conseil final, de celui qui va te permettre de concrétiser ton achat, de closer une vente. Et nous, on le voit dans une école de vente, une école de commerce, mais de vente, on sait très bien que le closing, c'est une partie qui reste encore éminemment humaine. Bien sûr, si tu achètes sur tes mues, tu n'as pas besoin d'être humain, tu achètes le prix, etc. Mais on sait que dans un achat qui sera un achat engageant, je ne parle pas simplement d'une machine à laver, c'est déjà assez engageant, elle ne change pas tous les jours ou son frigo, mais ça peut être une voiture, ça peut être un appartement. Bien sûr, avoir des outils qui vous conseillent, qui vous orientent, etc., c'est extrêmement pratique parce que ça vous laisse à penser que ça vous fait gagner beaucoup de temps, mais après, il y a quand même un besoin de conseil, et c'est vrai que les interactions routinières, je pense qu'à 80%, elles vont pouvoir être laissées à l'IA, mais ça libère d'autant plus les équipes humaines qui vont pouvoir répondre. On voit bien le succès d'entreprises comme Volubilt.
Lionel Tardy:
[6:25] Qui mettent en place de l'IA conversationnelle pour les services clients des entreprises, eh bien, ces IA conversationnelles traitent une très grande partie des cas, et quand le cas devient un petit peu complexe ou un petit peu litigieux, eh bien, il y a une bascule vers un être humain, et là , la fluidité, en fait, c'est la victoire de l'omnicanalité, c'est-à -dire que tout est centré sur l'humain, avec, comme mot d'ordre moyen, l'efficience, une efficience opérationnelle, une efficience dans l'activité que l'on va pouvoir
Lionel Tardy:
[6:58] développer avec ce type d'outils.
Monde Numérique :
[7:00] Alors évidemment, ces changements de pratiques, j'imagine que ça induit des changements également du côté des vendeurs et du côté des circuits de distribution, etc. Donc comment est-ce que les marchands, les chaînes de ce qu'on appelle le retail s'adaptent à ces nouvelles pratiques ?
Lionel Tardy:
[7:19] C'est-à -dire qu'elle, elle s'adapte en essayant de mettre en place justement les outils d'omni-canalité. C'est-à -dire se dire, ok, nous, dans le retail physique, mais ça fait déjà longtemps, ils se disent comment on va pouvoir continuer à attirer des clients intéressés, des prospects chauds dans notre point de vente. Eh bien, il faut s'appuyer sur les différents points de contact et on va quitter la multi-canalité que l'on avait, chacun dans sa ligne. On va tout centrer sur l'utilisateur et tous les points de contact vont devoir converger alors c'est vrai qu'il y a beaucoup d'entreprises qui, pas forcément dans le retail, qui ont investi dans l'IA et on sait que beaucoup de projets aujourd'hui n'aboutissent pas ou échouent lamentablement parce qu'on peut peut-être aller trop vite il faut attendre que les choses deviennent un petit peu plus matures peut-être que l'IA agentique avec les promesses type opérateur pour OpenAI devienne vraiment une réalité et que l'on puisse véritablement les utiliser et que là , les entreprises vont devoir.
Lionel Tardy:
[8:20] Opérer quelque chose qui sera un vrai tournant. Pour l'instant, on est encore dans un périmètre qui est je me renseigne, je suis attiré vers, et je vais potentiellement soit commander en ligne, soit aller en boutique, et je vais pouvoir traiter tous ces sujets. Si demain, on peut passer à des achats, et ce n'est pas du tout ce que dit l'étude, parce qu'on n'a pas encore ce type de dispositif, ils sont à nos portes, mais ils ne sont pas encore disponibles, que l'on a des IA agentiques qui vont faire le travail pour nous, c'est-à -dire qu'ils vont faire les tâches à notre place, dans l'absolu, on lui dit je veux une machine à laver de telle taille pour un tel budget, livrer le plus tôt possible.
Lionel Tardy:
[8:59] Il cherche, il analyse, il sélectionne, il commande, il paye et vous êtes livré.
Monde Numérique :
[9:04] Oui, et là , ça marchera vraiment.
Lionel Tardy:
[9:07] Et là , ça marchera. Oui, alors il y en a qui, paraît-il, ont commencé à tester ce type d'outil pour réserver, par exemple, ton prochain week-end. Alors voilà , location de voiture, billet d'avion, hôtel, restaurant et hop là .
Monde Numérique :
[9:21] Oui, bien sûr. Mais alors, les IA génératives, ChatGPT, n'étaient pas vraiment faits pour ça au départ. Comment est-ce que... Et on sait qu'aujourd'hui, en fait, il n'y a pas de publicité. Donc, comment est-ce que ces marques et ces produits apparaissent ? Ça pose la question du référencement, en fait.
Lionel Tardy:
[9:41] Alors, si j'avais la réponse, je ne sais pas si je te la dirais, mais je serais sûr que j'irais toquer à la porte d'Oponei pour qu'ils me livrent un gros salaire. Parce que je ne suis pas persuadé qu'eux-mêmes le savent vraiment, le sachent vraiment.
Monde Numérique :
[9:55] Ils ont dit qu'ils envisageaient peut-ĂŞtre un jour de faire de la pub comme Google, mais pour l'instant, ce n'est pas le cas.
Lionel Tardy:
[10:01] Non, et puis on sait très bien que la pub chez Google, elle est pilotée par les entreprises. Donc, on sait très bien que dans nos résultats de recherche, il y a quand même, alors c'est marqué, bien sûr, sponsorisé, sponsorisé, sponsorisé. Donc, on sait très bien que là , c'est un lien qui a été payé. Mais malgré tout, il y a une... Potentiel tromperie, même si les gens ne sont pas d'us. Mais si on intégrerait dans les résultats de recherche de façon anonyme des liens ou des références qui seraient sponsorisées, ça serait carrément la fin des haricots. Les gens n'auraient plus confiance. Parce que finalement, on sait très bien que l'utilisation de ces outils, et on le voit aussi, nous, au niveau de nos étudiants, s'appuie aussi sur une forme de confiance. Ils se disent, finalement, ce qu'ils me disent, c'est quand même pas mal, donc j'ai confiance dans ce qu'ils me disent. Et là , nous, notre rôle, comme tu l'as dit tout à l'heure, parfois les IA, elles hallucinent, ou sans aller par le biais simplement, par l'angle de l'hallucination, parfois, ces IA vont chercher tellement loin dans le set de données que, par exemple, elles peuvent être capables de te dire que Jérôme Colombin, aujourd'hui, travaille pour France Inter, c'est ça ? Bon, bah oui, oui, mais il y a quelques années.
Monde Numérique :
[11:16] Il s'est trompé, hein ?
Lionel Tardy:
[11:17] Il s'est trompé parce que le set de données est tellement large que finalement, il vient amalgamer des choses qui n'ont plus de sens dans la temporalité du moment. Voilà .
Monde Numérique :
[11:26] Ce n'était pas France Inter, c'était France Info. En tout cas, ça pose des questions de data, d'accès à la donnée, etc. Et c'est presque des questions éthiques, finalement.
Lionel Tardy:
[11:34] Ah oui, il y a des vraies questions éthiques. Moi, en travaillant sur l'omnicanalité, on s'est tous croisés dans les salons internationaux à essayer des lunettes avec de la réalité augmentée, etc. Donc t'en as parlé, tu t'en as fait écho plein de fois avec tes camarades et toi-même, On imagine le vendeur augmenté de demain. Le vendeur augmenté de demain, c'est-à -dire qu'il est en relation avec l'ensemble du set de données des clients d'une enseigne ou d'une boutique. Le client arrive, Jérôme Colomb a franchi la porte, je l'ai reconnu parce que j'ai des lunettes qui permettent d'identifier avec de la reconnaissance faciale. Immédiatement, on me met en résumé grâce à l'IA, dans mes lunettes AR, un certain nombre de données qui sont des données pertinentes pour faire du closing.
Monde Numérique :
[12:24] Attention, lui c'est un casse-pied.
Lionel Tardy:
[12:27] Lui, il veut de la remise, il veut de la remise, lui il achète à peu près tout ce qu'on lui propose, lui c'est un bon client, etc. Et là , d'un seul coup, j'adapte mon discours. Mais probablement qu'on peut arriver à des choses comme ça. Mais là , justement, éthique, data, qu'est-ce que l'on en fait, etc.
Monde Numérique :
[12:43] Est-ce que les étudiants auxquels tu t'adresses aujourd'hui sont conscients de tout ça et sont préparés, se préparent activement à ça ?
Lionel Tardy:
[12:51] Alors je pense qu'ils sont conscients, ils sont conscients je ne sais pas s'ils s'y préparent activement.
Lionel Tardy:
[12:58] Alors ils sont conscients que ça peut les aider parce qu'on a changé, j'évoquais le sujet récemment avec mon camarade Bruno Goublier-Minetti.
Lionel Tardy:
[13:08] Ils ont compris que l'intelligence artificielle pouvaient les aider à faire beaucoup de choses au niveau des devoirs. Je voudrais même faire une petite digression parce que justement dans l'étude Cantart qu'il y a eu, ils ont interrogé les parents par rapport à l'acceptabilité qu'ils avaient de confier l'accessibilité à l'IA à leurs enfants. Eh bien l'étude montre que 47% des parents acceptent que des enfants de moins de 11 ans aient accès à des outils d'intelligence artificielle. J'ai entendu ça ce matin, j'ai dit il faut que je note ça avant d'en parler à Jérôme. Et quand on est au lycée, c'est 65%. Et pire, 46% encouragent, leurs enfants à utiliser l'intelligence artificielle. Donc, ils sont au courant, ils sont sensibilisés. Maintenant, savoir s'ils vont complètement prendre la mesure en disant, voilà ce que ça va pouvoir changer en termes d'usage, on sait bien comment l'iPhone et plus généralement les smartphones ont révolutionné notre usage, comment les VTC n'ont pu naître que parce que nos smartphones étaient reliés au GPS. Et bien, cet ensemble de technologies, de verrous technologiques, au niveau de l'IA, on est en train de le toucher du doigt mais on n'a pas encore pu apprécier complètement sa profondeur et toute la difficulté que nous on a, puisque tu parlais des étudiants, c'est d'essayer de leur ouvrir les yeux.
Lionel Tardy:
[14:31] Sur la façon dont on peut utiliser l'intelligence artificielle comme un assistant, comme un collaborateur comme un outil, comme on utilise un marteau pour planter un clou et il faut savoir l'utiliser, on ne va pas dire qu'on peut faire de mal avec un marteau et bien c'est exactement ça notre rôle parce que eux le trouvent toujours encore comme un outil, un objet un peu magique. Et c'est un petit peu ce que dit cette enquête, c'est que les utilisateurs, avec cette adoption croissante, finalement, j'ai une réponse un peu magique, un peu plus magique que les réponses que j'avais par mes utilisateurs. Un autre chiffre qui était intéressant, que j'ai entendu encore il y a quelques minutes, c'était qu'Apple, tu sais qu'Apple, avec leur iPhone, ils savent exactement, avec le deal qu'ils ont sur Safari, avec Google, ils savaient exactement le volume de recherches qui sont opérées via leurs appareils, eh bien, ils ont observé une baisse de 20% des recherches. 20% des recherches sur les devices Apple. Probablement vers des recherches au profit de recherches par Perplexity, par ChatGPT, par Le Chat, etc.
Monde Numérique :
[15:39] Il y a un basculement de la recherche vers ces outils-lĂ .
Lionel Tardy:
[15:44] Il y a un vrai basculement. Et donc, ça touche le commerce, bien sûr, puisque c'est le sujet de notre échange, mais c'est vrai que ça touche tous les secteurs de la recherche, donc tous les secteurs de la recherche d'information.
Monde Numérique :
[15:55] Merci Lionel Tardy, professeur à l'École supérieure de vente et d'exportation.