Episode Transcript
[00:00:02.940] - Jean-Sébastien Marier
Bienvenue à ce premier épisode en français de la seconde saison du balado Voir demain, un balado de CPA Canada qui explore l'avenir de la profession comptable. Je suis votre animateur, Jean-Sébastien Marier.
[00:00:17.130] - Jean-Sébastien Marier
Dans le cadre de la saison précédente, nous nous sommes intéressés aux transformations technologiques auxquelles font face les CPA, comme les mégadonnées et l'intelligence artificielle. Cette fois-ci, je m'entretiens avec des CPA qui mettent à profit leur formation comptable dans des postes un peu moins traditionnels. C'est le cas de Janique Lambert. Après de nombreuses années à réaliser des audits financiers, elle a décidé de mettre ses compétences au service de l'environnement et du développement durable. Elle est, depuis septembre 2021, commissaire au développement durable au sein du Bureau du Vérificateur général du Québec. Madame Lambert, bonjour.
[00:00:53.610] - Janique Lambert
Bonjour, Jean-Sébastien. Ça fait grand plaisir d'être avec toi ce matin, ici, à ce podcast.
[00:01:00.030] - Jean-Sébastien Marier
Merci d'avoir accepté l'invitation. Dites-moi, d'entrée de jeu, pourriez-vous nous résumer un peu le rôle de la commissaire au développement durable au sein du Bureau du Vérificateur général du Québec, pour les gens qui ne sont peut-être pas trop familiers avec votre rôle ?
[00:01:16.470] - Janique Lambert
Le poste de commissaire au développement durable a été créé suite à l'adoption de la Loi sur le développement durable en avril 2006. Concrètement, ça a pris forme au sein du bureau du Vérificateur général au début 2007. Le rôle, le mandat du commissaire au développement durable est ensaché dans la Loi sur le Vérificateur général. Ce qu'on dit, finalement, c'est qu'au moins une fois par année, le commissaire doit faire rapport à l'égard de ses constats et recommandations concernant l'application de la Loi sur le développement durable et également, depuis novembre 2020, sur le Fonds d'électrification et des changements climatiques. De plus, il peut faire rapport sur tout sujet qui découle de ses travaux de vérification ou d'enquête en matière de développement durable. Également, il peut faire des commentaires concernant les principes, les procédures et les autres moyens qui sont employés en matière de développement durable par l'administration publique.
[00:02:22.170] - Jean-Sébastien Marier
Pourriez-vous nous donner un exemple, peut-être, d'un des plus récents projets que vous avez mené dans ce contexte ?
[00:02:29.520] - Janique Lambert
Si on fait abstraction des mandats spécifiques sur la Loi sur développement durable, on a touché à plusieurs sujets par rapport à ça, par plusieurs rapports au niveau de la gestion de l'eau, que ça soit l'eau potable, l'eau usée et toute la gouvernance de l'eau. On a touché à la production agricole. On a touché à la planification des mines au Québec. Également, plus récemment, on a fait un mandat sur les neiges usées, on a fait un mandat sur l'étiquetage des aliments. On parle de prévention santé par l'alimentation. Dans le fond, tu peux voir que c'est un grand éventail de sujets qu'on peut aborder parce que la Loi sur le développement durable, ça touche l'Administration avec un grand A. C'est tout ce qui est développement, c'est tout ce qui est décisions gouvernementales qui peuvent avoir un impact autant sur l'environnement, le social, que sur l'économie finalement.
[00:03:31.320] - Jean-Sébastien Marier
Autrement dit, quand on pense souvent au rôle des CPA, on peut penser à l'audit financier. Dans votre cas, on pourrait dire que vous faites en quelque sorte des audits, mais liés aux performances de l'appareil étatique, du gouvernement, en matière d'environnement et de développement durable. Est-ce que ça serait une bonne façon de le résumer ?
[00:03:49.140] - Janique Lambert
Oui, au Vérificateur général, il y a trois types d'audits qu'on fait : il y a l'audit financier comme tu en as fait part, il y a l'audit de performance et l'audit de conformité. Au niveau de l'application de la Loi, c'est principalement de l'audit de performance. L'audit de performance, c'est de l'audit de gestion, finalement. Ça vise à s'assurer est-ce que les programmes, les projets, les systèmes... toutes les activités du gouvernement, finalement, et de ses organismes, sont gérées et exécutées conformément aux principes de l'économie, de l'efficience, de l'efficacité et du développement durable.
[00:04:29.040] - Jean-Sébastien Marier
Revenons un petit peu en arrière pour parler de votre parcours, ce qui vous a amenée à devenir commissaire au développement durable. Vous avez eu, on pourrait dire peut-être, un parcours somme toute « traditionnel » au tout début. Parlez-nous un peu de ce qui vous a amenée dans ces fonctions au fil des ans.
[00:04:47.190] - Janique Lambert
On recule de plusieurs années. J'ai écrit mon examen — à l'époque, on appelait ça l'EFU — c'était en 1987. Ça fait quand même un bon bout de temps. C'est certain qu'à l'époque, pour un CA, il n'y avait pas tant de diversité que ça. C'est-à-dire que lorsqu'on décidait de devenir CA, c'est soit qu'on allait en entreprise ou qu'on voulait poursuivre, faire une carrière d'auditeur. C'est ce parcours-là, moi, que j'ai privilégié. J'ai débuté, j'ai fait trois ans au sein d'une grande firme, Ernst & Young. Par la suite, je me suis orientée davantage vers l'audit législatif, donc j'ai fait mon entrée au Vérificateur général. Les premières années, effectivement, j'ai continué le parcours plus traditionnel, donc j'ai poursuivi en audit financier. Ça m'a amenée à bien comprendre l'appareil gouvernemental jusqu'à faire quelques années d'audit financier au niveau des états financiers du gouvernement. J'étais en mesure de comprendre toutes les activités, tout l'aboutissement des activités : [inaudible 00:05:54], revenus, dépenses au niveau des organismes, les sociétés d'État, tout ça, comment ça aboutissait au sein du gouvernement ?
[00:06:03.720] - Janique Lambert
Par la suite, j'ai cheminé, j'ai décidé de m'orienter davantage au niveau de l'audit de performance et c'est là que j'ai intégré l'équipe qui était spécialisée davantage en environnement. Ça m'a amenée à cheminer au niveau du secteur du commissaire au développement durable. J'ai fait partie de l'équipe de direction qui a mis ce nouveau secteur-là en place au sein du Vérificateur général. J'ai fait 7-8 années à titre de directrice. Par la suite, j'ai été directrice principale et depuis le 6 septembre 2021, j'occupe le poste de commissaire au développement durable.
[00:06:46.410] - Jean-Sébastien Marier
Vous travaillez au sein d'une équipe, somme toute, multidisciplinaire : on parle de gens spécialisés en droit, il y a des ingénieurs... Que vous apporte votre formation de comptable ? Quelle est la valeur ajoutée au sein d'une équipe qui fait des audits sur le développement durable que d'avoir quelqu'un qui a une formation et un parcours en comptabilité ?
[00:07:10.290] - Janique Lambert
Ce qui est vraiment important, c'est de vraiment avoir des chocs d'idées parce que, comme je le disais précédemment, on couvre large, on ratisse large, donc on a besoin d'avoir des gens avec multiples parcours professionnels. Par contre, je m'assure toujours d'avoir... Je pense ce qui est important, c'est d'avoir aussi des gens qui sont spécialisés en audit et c'est ce qu'un CPA est de façon... Sa grande spécialité, c'est l'audit, donc ça l'amène une polyvalence. Un CPA, c'est des professionnels qui ont une très grande polyvalence, mais en même temps la rigueur nécessaire pour faire l'audit. Ça nécessite une certaine vision, une capacité d'analyse, puis être en mesure de prendre tout le fruit du travail et être en mesure de synthétiser et de produire un rapport qui va être le plus porteur possible. C'est environ 50 % au sein du Commissaire, environ 50 % des professionnels qui occupent un poste de CPA et l'autre 50 %, on s'assure d'être capables de toucher de façon globale toutes les sphères du développement durable, autant au niveau des ressources, autant au niveau de l'économie, autant au niveau tout ce qui est protection de l'environnement : des gens qui ont une maîtrise en environnement, des gens qui sont spécialisés en énergie... On a besoin de toute cette capacité professionnelle-là pour faire les meilleurs rapports. Ce n'est pas plus simple pour autant.
[00:08:50.220] - Janique Lambert
C'est toujours plus facile de discuter entre professionnels qui viennent d'une même culture, mais par contre, si on veut un bon rapport, on a besoin d'avoir ce choc de culture-là.
[00:09:02.160] - Jean-Sébastien Marier
Vous y avez fait un peu allusion. Mais quelles sont, peut-être, certaines des caractéristiques communes, des ressemblances entre l'audit financier un peu plus traditionnel, et ce que vous faites au sein de votre équipe, au bureau du Vérificateur général ?
[00:09:16.530] - Janique Lambert
Les deux, on a des programmes d'audit. Quand on entreprend un audit, premièrement, on a besoin d'avoir la capacité de faire une analyse rapide de la situation. Autant un audit financier, on doit avoir ce réflexe-là de bien comprendre notre environnement, bien comprendre l'ampleur du sujet, de la problématique, s'il y a lieu. Par la suite, d'établir un bon programme d'audit pour arriver à un fruit, d'avoir un rapport d'audit en financier, mais au niveau de l'audit de performance, c'est d'avoir un rapport qui va avoir une bonne lecture de la situation, puis qui va ultimement amener à des recommandations. La grande différence entre les deux, par contre, c'est qu'en audit de performance, on n'a jamais un rapport de l'année précédente, donc on part toujours avec une page blanche. C'est certain qu'on a nos réflexes d'auditeurs : on connaît la façon de procéder, les étapes sont bien comprises, sont bien maîtrisées, mais n'empêche que le sujet, on part toujours... Il faut être capable de bien vivre avec la page blanche lorsqu'on fait de l'audit de performance. En même temps, moi, c'est ce qui m'a animée.
[00:10:35.920] - Janique Lambert
Ça fait quand même plusieurs années que je fais de l'audit de performance et ce qui m'anime tous les matins, c'est justement qu'il n'y a pas de routine. C'est la nouveauté, on apprend toujours. À chaque fois, à chaque rapport, c'est comme si on faisait une thèse, un rapport de maîtrise. On apprend toujours des nouveaux sujets, c'est ce qui est palpitant, puis aussi d'avoir la plus value d'aider à améliorer la gestion des fonds publics. C'est super intéressant.
[00:11:09.730] - Jean-Sébastien Marier
Donc un poste et une équipe qui semblent loin de la routine. Le poste de commissaire au développement durable au Québec, c'est novateur, mais pouvez-vous nous donner un peu une idée de où se positionnent le Québec et le Canada en la matière quand on regarde à l'échelle mondiale ? Il doit y en avoir d'autres, quand même, des commissaires au développement durable et/ou à l'environnement.
[00:11:29.980] - Janique Lambert
C'est un poste qui est quand même relativement unique. Il n'y en a pas tant que ça, c'est sûr. Puis si on recule en 2006, la rareté était encore plus grande. Au sein du Canada, celui du Québec, c'est celui qui se rapproche le plus du Commissaire à l'environnement et au développement durable fédéral. C'est le premier à avoir eu ce poste-là et deux postes de commissaire relèvent du Vérificateur général législatif. Celui de l'environnement et développement durable relève du Bureau du Vérificateur général du Canada, et celui du Québec relève du Bureau du Vérificateur du Québec. La différence, c'est que celui du Québec, c'est le commissaire au développement durable. C'est vraiment un lien avec le développement durable dans sa globalité, tandis que celui fédéral va faire davantage de mandats en environnement. En ce qui a trait au développement durable, ce que j'ai pu remarquer finalement, c'est davantage en lien avec la stratégie de développement durable. C'est un peu technique, là, mais ça se ressemble vraiment beaucoup. Au sein du Canada aussi également, il y a en Ontario qui a un commissaire, mais c'est un commissaire à l'environnement exclusivement.
[00:12:56.470] - Jean-Sébastien Marier
Quand on parle d'environnement — et vous faites bien de le souligner — c'est l'une des composantes de ce qu'on appelle le développement durable. Il y a aussi les dimensions économiques et sociales dont vous tenez compte puisque votre poste porte vraiment sur le développement durable et non seulement la composante environnement, si je comprends bien ?
[00:13:12.460] - Janique Lambert
Oui, effectivement. C'est certain qu'on y va toujours aussi avec l'intérêt des parlementaires, puis avec les grands enjeux sociétales. C'est certain que les dernières années, l'environnement a pris quand même une place de choix, avec raison. On le voit avec les changements climatiques et tout, ce qui fait que c'est certain que les rapports des dernières années puis des années à venir, il va y avoir quand même une priorisation, certainement, qui va être faite au niveau de l'environnement et peut-être plus précisément au niveau des changements climatiques.
[00:13:51.370] - Jean-Sébastien Marier
Ce qui m'amène à ma prochaine question. Le poste que vous occupez existe au sein de l'appareil étatique, au sein du gouvernement, mais quelle est la place pour un commissaire au développement durable — ou en tout cas, un auditeur responsable du développement durable — dans le milieu privé ou dans d'autres sphères de la société. Quelle est votre vision de l'avenir en la matière ?
[00:14:16.060] - Janique Lambert
Je dirais que le rôle du commissaire au développement durable, c'est certain que c'est de se positionner sur la capacité du gouvernement, de l'administration, de gérer de façon plus durable. C'est de gérer avec une vision à long terme. Le gouvernement aura un grand impact au niveau... Vous parlez du privé, mais le gouvernement a un grand impact de par les contrats qu'il va octroyer, ses achats et tout, ce qui fait qu'il est bien positionné pour influencer le privé au niveau du caractère du développement durable. Je me dis que si l'administration publique s'améliore — on souhaite toujours qu'il y ait une très grande amélioration au niveau de sa gestion, qu'elle soit plus durable — forcément, elle va venir influencer tout le marché privé. De toute façon, on le voit, ça bouge. Ça bouge énormément. Depuis ma nomination, concrètement, il y a eu le COP 26... On voit qu'il y a quand même toute une envolée, il y a beaucoup d'énergies qui sont déployées pour tout ce qui est reddition de comptes sur la durabilité.
[00:15:38.410] - Janique Lambert
Vous parlez du privé. Le privé, il y a une pression qui s'exerce également du consommateur, de l'investisseur pour que le privé rende des comptes de façon plus claire sur sa façon de gérer, autant le côté social, autant sur l'impact de l'environnement des activités du privé. On voit que, même si je vous parlais de l'influence du gouvernement, il y a également besoin du consommateur, de l'investisseur qui exerce une pression sur le privé pour revoir ses façons de procéder et revoir sa façon de rendre des comptes. C'est là qu'on parle de reddition de comptes, de la normalisation de vos ESG. Notre profession est vraiment impliquée dans l'avenir de tout cet encadrement de cette normalisation-là.
[00:16:27.190] - Jean-Sébastien Marier
Est-ce que cela pourrait mener peut-être certaines entreprises à créer des postes d'auditeurs en matière environnementale et de développement durable, comme on le fait déjà en matière d'audit financier, à votre avis ?
[00:16:42.430] - Janique Lambert
C'est certain que les firmes privées, on voit qu'elles sont pleinement investies. On voit les grands cabinets qui ont déjà... pas réagi, mais ça fait quand même quelques années qu'ils voient venir l'intérêt, les besoins de certifier davantage au niveau de l'environnement, des changements climatiques. Là, maintenant, on va plus loin, on va sur l'impact sociétal et tout. Au niveau de la normalisation des ESG, on voit que les grandes firmes sont pleinement investies. Forcément, lorsqu'une firme s'investit, c'est qu'il y a une demande qui s'en vient. Donc au niveau des grandes organisations... On voit d'ailleurs, d'un point de vue international, ce n'est pas quelque chose qui a débuté cette année. La reddition de comptes au niveau de la durabilité, ça fait quand même un certain nombre d'années que c'est débuté. Par contre, là, il y a un besoin d'encadrement pour que cette information-là puisse être comparable d'une organisation à l'autre, puis donner une bonne information.
[00:17:44.530] - Janique Lambert
Au niveau du privé, oui, il y a les cabinets qui ont bien réagi à l'égard de la normalisation ESG. Par contre, il y a aussi l'industrie qui doit répondre — comme je vous disais — aux différents consommateurs et investisseurs.
[00:18:02.320] - Jean-Sébastien Marier
Tout ça en rappelant bien que personne ne travaille vraiment en vase clos, donc, comme vous le disiez, même si une entreprise donnée n'a peut-être pas son propre commissaire, elle doit interagir avec le gouvernement, suivre les règles, donc il y a des audits en matière d'environnement et de développement durable qui vont se faire et quelque part, de toute façon, ils forcent un peu tous les joueurs à travailler de concert pour ces enjeux.
[00:18:25.510] - Janique Lambert
Oui, le poste de commissaire, c'est un poste d'audit législatif en matière de développement durable. C'est certain que c'est de faire en sorte qu'il y ait une grande amélioration au niveau de l'administration des fonds publics, en lien avec un développement durable, mais forcément, les auditeurs autres que les auditeurs législatifs... Également, il y a une direction qui est prise au sein de la profession, justement, pour qu'il y ait une certification au niveau du développement durable et de l'environnement. C'est vrai que ça existe au sein des gouvernements, mais c'est certainement vrai également que ça existe déjà au niveau du privé. Ça ne va que s'améliorer et poursuivre cet envol-là dans le futur.
[00:19:17.380] - Jean-Sébastien Marier
Madame Lambert, merci beaucoup d'avoir pris le temps de nous parler ce matin.
[00:19:21.340] - Janique Lambert
Ça fait grand plaisir, Jean-Sébastien.
[00:19:23.590] - Jean-Sébastien Marier
Janique Lambert est CPA et commissaire au développement durable du Québec. Voir demain est un balado réalisé par CPA Canada. Pour plus d'informations sur le projet Voir demain, visitez le site voirdemain.cpacanada.ca. Ici Jean-Sébastien Marier. Merci d'avoir été à l'écoute et à très bientôt pour notre prochain épisode.